La grande statuaire en bronze à Nyon
Quand la ville était peuplée de géants de bronze…
Il est parfois difficile de s’imaginer aujourd’hui à quoi devait ressembler notre ville de Nyon lorsque celle-ci était encore le chef-lieu de la Colonia Iulia Equestris. Si son emplacement n’a pas changé depuis sa fondation en 44 avant J.-C, l’organisation de son centre urbain et les mœurs et coutumes de ses habitants n’ont pour leur part pas cessé d’évoluer au cours des siècles. Seuls témoins de ce riche passé, les nombreux vestiges et objets archéologiques reposant sous nos pieds et découverts lors des fouilles de ces deux derniers siècles. C’est parmi eux qu’ont été retrouvés plusieurs fragments en bronze, certains richement élaborés et indicateurs de la présence antique de grandes sculptures.
Une présence silencieuse mais ostensible
Durant la période romaine, les statues en bronze tenaient une place bien visible au sein de la vie courante. Omniprésentes, elles représentaient des figures incontournables du quotidien des citoyens romains. De tailles humaines à monumentales, les sculptures étaient généralement dédiées à une divinité, des personnalités politiques en vue ou, plus fréquemment, à l’empereur voire à sa famille.
Les statues au rôle politique ou religieux étaient généralement exposées sur des emplacements publics. Le forum (lieu de rencontre commercial, juridique, politique, religieux et économique de la cité) en était l’emplacement par excellence. On retrouvait aussi des sculptures en bronze à de nombreux coins de rue, sur les monuments de spectacle, les thermes ou les bâtiments administratifs. Les temples, abritant aussi bien le culte impérial que ceux dédiés à d’autres divinités, étaient des lieux de prédisposition à l’implantation d’une statue.
Dans un contexte privé, ces sculptures ornaient les riches propriétés et leurs jardins. Dans ce cas de figure, les sujets choisis pouvaient être issus de scènes mythologiques, du quotidien et représentaient parfois des membres de la famille. Certaines sculptures étaient aussi dédiées à des artistes ou des athlètes, une pratique héritée de la tradition grecque. L’auteur romain, Pline l’Ancien (23 à 79 après J.-C) fait par ailleurs mention du poète L. Accius « qui se fit dresser dans le temple des Muses une statue très grande, quoiqu’il fût très petit. » (Pline l’Ancien, Histoire naturelle, livre XXXIV, 10, 2).
Bien que la diversité iconographique de ces représentations soit vaste, l’empereur demeurait le sujet principal. Ses différentes effigies se déclinaient sous de nombreuses formes: à cheval, sur un char ou simplement en pied… Elles le rendaient omniscient et lui permettaient de faire partie de la vie de la cité. Ceci se révélait d’autant plus déterminant au sein de territoires provinciaux éloignés de Rome, telle que la Colonia Iulia Equestris. Dans les lieux publics et juridiques comme les tribunaux, ces représentations symbolisaient l’autorité de l’empereur, validant les décisions y étant prises.
Faire parler les indices
Il est difficile aujourd’hui, lorsque l’on se promène à Nyon, de prendre mesure de la présence qu’occupaient ces statues. Au cours des âges, leurs alliages précieux leur ont valu d’être régulièrement refondues. Une fois le lieu où elles étaient exposées, abandonnées ou lorsque la personne représentée ne faisait plus partie de la vie civique, les statues étaient généralement démantelées et leur métal était réutilisé pour la création de plus petits objets en bronze (vaisselle, statuette, fibules…).
Pour les quelques sculptures qui ont su traverser le temps, beaucoup considérées comme païennes ont été détruites durant l’époque médiévale… à quelques exceptions près. Il existe sur le Capitole, à Rome, une statue équestre de l’empereur Marc-Aurèle qui ne doit son salut qu’au fait d’avoir été confondue avec une représentation de l’empereur chrétien Constantin. Les autres exceptions sont notamment les sculptures d’Herculanum et Pompéi qui ont été préservées du temps par l’éruption du Vésuve en 79 après J.-C.
À Nyon, quelques fragments nous sont parvenus. Celui illustrant cet article a été découvert lors de la construction du parking de la Duche en 2005. Il a été retrouvé proche d’un portique et d’un espace à la décoration riche dont la fonction n’a pas encore pu être déterminée. L’édifice a subi un réaménagement qu’on peut dater, grâce à l’étude des pieux en bois de ses fondations, entre 143-145 après J.-C. L’objet aurait ainsi pu provenir d’une statue qui siégeait auparavant dans ce bâtiment et qui aurait été démantelée par la suite. La fonction du lieu n’est pas claire mais au vu des moyens mis à contribution pour son élaboration, les chercheurs ont supposé qu’il s’agissait d’un édifice public de grande envergure.
Mais que nous apprend ce fragment?
La première chose qui interpelle est sa couleur. Si le bronze possède à l’origine une couleur cuivrée, bien loin de la couleur verte qui est généralement celle laissée par le temps et l’oxydation, les Romains choisissaient parfois de le recouvrir d’une patine. Ici, une dorure à base de feuilles d’or a été réalisée. Cette pratique était réservée aux représentations de personnages importants tels qu’une divinité, un empereur ou parfois même un haut dignitaire. Dans le premier cas, les représentations étaient généralement dénudées, ce qui entre en opposition avec le fragment. Ici, la pièce est constituée d’une partie lisse suivie de franges caractéristiques que l’on peut parfois retrouver sur le pallium (manteau masculin) de personnages de haut rang.
Les indices laissent ainsi supposer que cet objet constitue tout ce qui nous est parvenu d’une statue représentant un personnage important, en bronze doré, probablement un empereur vêtu d’un manteau à franges et dont la taille devait au minimum avoisiner la grandeur réelle. En admettant que la statue ornait à l’origine le bâtiment non identifié de la Duche, cela pourrait contribuer à confirmer le rôle officiel que jouait l’édifice.
Il existe encore d’autres fragments issus de grands bronzes romains provenant de Nyon qui témoignent du riche passé de la Colonia. Parmi ces pièces ont notamment été retrouvés un glaive et une oreille de cheval probablement respectivement issus d’une statue cuirassée et d’une statue équestre dont l’étude est encore en cours. Ces sculptures de bronze qui peuplaient autrefois nos rues sauront peut-être nous transmettre un dernier message afin que nous puissions en apprendre encore un peu plus sur le passé romain de nos régions. Preuve, s’il en fallait, que la ville a encore de nombreux secrets à nous révéler!